Confrontation florale

Dans le carré d’herbe qui jouxte la bicoque, un bazar de couleurs s’est installé sans crier gare. Les coquelicots, les lascars en rouge vif, ont élu domicile dans ce coin de verdure, comme pour mettre de l’ambiance. Mais ce cirque floral faillit virer à la castagne, Francis, un vieux briscard qui ne laisse pas marcher sur les plates-bandes facilement, les avait pris pour des herbes de la mauvaise graine.

Ces p’tits bonhommes rouges, ils se prenaient pour des durs, des chevaliers de la tige prêts à jouer des coudes pour capter le moindre rayon. Mais le jardinier, un ancien de la grande bleue reconverti en roi du potager, n’était pas du genre à se faire embobiner. Avec son sécateur en pogne, prêt à décimer ce qu’il pensait être l’envahisseur, il était sur le point d’imposer sa loi.

Pourtant, c’était sans compter sur le petit peuple du jardin, une clique bigarrée de bestioles et de volatiles qui kiffaient ce show floral. Les abeilles, bourgeoises du pollen, faisaient leur tournée des grands ducs de corolle en corolle. Les zozios, troubadours du matin, roucoulaient en l’honneur des nouveaux venus, et les papillons se trémoussaient dans l’air, bluffés par tant de frime.

On discute…

Le coup de théâtre arriva quand un coquelicot plus culotté que les autres tomba nez à nez avec le jardinier. Alors que ce dernier allait lui faire sa fête, la fleur lui sort une sérénade du genre :

Francis : Alors comme ça, on se croit chez soi, hein ? Faut croire que t’as pas vu la pancarte « Propriété privée », mon pote !

Coquelicot : Écoute, mec, je suis pas là pour te chauffer. Regarde-moi. Tu penses vraiment que j’ai la tête d’un fauteur de troubles ?

Francis : Tu parles ! Une mauvaise herbe reste une mauvaise herbe. Tu te dresses là, avec tes potes, comme si vous aviez acheté le terrain.

Coquelicot : Mais t’as pas les yeux en face des trous ou quoi ? Regarde autour de toi. On égaie ton jardin, on attire les zazous et les butineuses. Sans nous, ton jardin, c’est juste un carré de terre. Avec nous, c’est un festival de couleurs.

Francis : Des couleurs ? Je me fiche des fanfreluches ! Ce que je veux, c’est de l’ordre et rien que de l’ordre.

Coquelicot : De l’ordre, c’est bien beau, mais à quoi ça rime si y a pas un brin de fantaisie ? Laisse-nous faire notre show, tu verras, ça va changer ton quotidien. T’as pas envie d’un peu de poésie dans ta vie de piocheur ?

Francis : La poésie, ça nourrit pas son homme. Vous autres, vous pompez les nutriments de mes légumes.

Coquelicot : Et si je te dis qu’on attire aussi des alliés ? Les abeilles, les papillons… Ces gars-là, ils pollinisent tes plantes. Sans eux, tes légumes, ils sont moins fringants.

Le jardinier marqua une pause, ses yeux balayant le jardin envahi.

Jardinier : T’es malin, pour une fleur. J’y avais pas pensé sous cet angle.

Coquelicot : Allez, fais pas la tête. On est tous dans le même bateau. Toi, tu veilles sur le jardin, et nous on met un peu de gaieté dans ton boulot. C’est donnant donnant.

L’entente cordiale

Le jardinier soupira, abaissant son sécateur.

Francis : Bon… Restez. Mais que ça ne devienne pas un foutoir ! À la moindre incartade, je vous remets en ligne.

Coquelicot : Marché conclu ! Et tu verras, avec nous, c’est tous les jours dimanche.

Francis secoua la tête en souriant malgré lui et se dirigea vers son abri d’outils, laissant le champ libre aux coquelicots et à leur cortège coloré.

À partir de ce moment-là, le jardin changea de visage. Ce qui avait presque tourné au massacre se transforma en une colocation peinarde où chaque créature, qu’elle marche ou qu’elle racine, trouvait son compte. Le jardinier, gardien de cette ménagerie et de cette flore, veillait au grain, pigé que dame Nature lui avait filé une bonne leçon.

Ainsi, l’offensive des coquelicots, loin de virer au pugilat, se mua en légende urbaine du jardinage. Et dans ce petit Eden retrouvé, chaque coquelicot, chaque bestiole et chaque insecte jouait sa partition dans cette symphonie champêtre dirigée par un jardinier devenu véritable capo de l’harmonie entre l’homme et le vert.

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Albert
Observateur sans compromis du jardin. S'amuse à compter les aventures de notre ami Francis dans son bac à salade.